Histoire : •I•
« Rappelle-moi, qu’est ce que c’est ton travail déjà? »

La voix de Han li-Ren l’avait tirée de ses pensées, et elle avait posé sa bouteille de bière sur la table pour le regarder. Pour les regarder. Toute la promotion 2012 des départements de langues , culture et sociétés de la Hong-Kong University s’était réunie dans cette gigantesque salle de réception pour sa rencontre annuelle. Bambi Kwon y avait participé seulement trois fois au cours des 11 dernières années. D’abord parce qu’elle n’avait pas toujours vécu à Hong-kong ( pour tout dire elle n’y vivait pas cette année-là non plus) et ensuite parce qu’elle avait du mal avec la drôle d’ambiance qui y régnait.  Li-Ren par exemple , ne perdait jamais une occasion de l’attaquer. Elle ne savait pas ce qu’elle lui avait fait pour qu’il soit si mauvais avec elle. Si elle devait être tout à fait honnête ,  elle ne s’en souciait pas. Pas le moins du monde. Elle était seulement venue pour retrouver une amie qui lui était chère , qui participait chaque année.  Comme Bambi restait peu de temps sur l’île, elles n’avaient pas trouvé d’autre créneau pour échanger des salutations.

D’autant qu’elle s'apprêtait à faire un grand saut vers l’inconnu et qui rendrait les visites d’autant plus difficiles et rares. Elle pris son temps. Elle ne pouvait pas répondre n’importe comment . Elle ne pouvait pas se laisser atteindre par le ton ouvertement narquois de son ancien camarade et gâcher la soirée. Non, assurément pas.

« Je suis luthière, Li-Ren. Je fabrique des instruments de musique.
— Xiao Feng prétend que tu as complètement craqué depuis qu’il t’a plaqué. Faut croire que c’est vrai. Pourquoi tu aurais abandonné ton ancien travail de traductrice en consulat pour faire ce genre de choses ? Soit il t’a éclaté le cerveau , soit c’est un truc de riche. Vous faites des choses inconsidérées.
—Tu accordes trop d’importance à ce type, Ren-Ren. Et je ne suis pas riche.
— tes parents le sont. »

Elle avait soupiré et agité sa main devant son visage comme pour chasser un insecte , ou une pensée. Naturellement , il fallait toujours que ce genre de chose revienne sur la table. Ce type l’avait suivie avec ça pendant tout le temps qu’elle avait passé à étudier dans le même établissement. Tellement qu’elle avait fini par demander un transfert d’université et qu’elle avait terminé son année à Singapour où elle était née. Ou elle avait grandi.  Et elle s’était sentie libérée.

Bambi Kwon était née sous le nom de Saet-byul, de deux parents d’origine coréenne mais nés hors du pays. Sa mère était née en Floride , de parents restaurateurs et son père était né à Singapour , ses parents a lui étaient propriétaires d’un hôtel de luxe particulièrement prisé dans le petit pays. Une étape pour de nombreux politiciens et , elle ne niait pas que c’était aussi de cette façon qu’elle avait décroché son stage de fin d’étude en temps que traductrice assistante au sein du consulat des États-Unis d’Amérique dans les Îles Marshall. Le consul était un client de longue date de l’hôtel de sa famille.

Hôtel dans lequel , de reste, ni son père ni sa mère n’avaient jamais travaillé. Sa mère était juriste dans une firme de droit Américaine installée a Singapour et son père était professeur de littérature chinoise dans un lycée. Vraiment . Rien de bien luxueux. Ses parents gagnaient leur vie de façon tout à fait normale et elle n’avait jamais été considérée comme riche dans sa vie Singapourienne. Elle appartenait à une classe moyenne haute.

Mais ce n’était pas ça , non ce n’était pas réellement ce que Li-ren lui reprochait. Et elle le savait bien parce qu’il ne perdait jamais une occasion de le dire quand il avait un peu trop bu.

«ça fait trois ans que j’ai complètement arrêté d’être traductrice ou interprète, mais tu n’as toujours pas été recruté par aucun consulat , je me trompe? A croire que je ne suis pas la vraie raison de ton désœuvrement.
— t’es une vraie ordure. »

Il avait craché alors qu’elle reprenait son verre pour boire et essayer de passer une bonne soirée.  Ça semblait mal parti. Elle essaya de se convaincre que ça n’avait pas d’importance et que c’était la dernière fois de sa vie qu’elle voyait cet homme.  Son regard avait été attiré par l’entrée remarquée de Ruonan. Elle s’était un peu écartée pour lui faire de la place ses côté alors que la jeune femme se glissait comme elle pouvait dans l’espace qu’il y avait entre elle et son voisin de gauche.  Ruonan avait attrapé son visage entre ses deux mains et écrasé son nez contre le sien dans un rire presque enfantin.

« Je ne peux pas croire que tu es enfin là…

Il y avait eu tellement d’impacts sur la route.

•II•
Kwon Saet-byul et Xian Ruonan étaient née au sein du même hôpital, la même semaine et le hasard avait voulu que leurs parents vivent également dans le même immeuble situé sur Neil road qui faisait face à l'importateur de thé , au sein du chinatown de la cité-état.  L’autre particularité qui les unissait était sans doute le fait qu’elles étaient toutes les deux les enfants uniques de parents immigrés.  Si Saet-byul qu’on connaîtrait plus tard presque exclusivement sous le nom de « Bambi » était issue d’une famille coréenne, Ruonan trouvait ses racines entre la Mandchourie et le Kirghizstan. Ces différentes coïncidences , elles les avaient appelé le destin , et elles avaient été élevées comme des sœurs ou des cousines par les deux couples.

Elles avaient étudié dans les mêmes écoles internationales , d’abord en suivant le système chinois plus , alors qu’elles entraient au collège , elles avaient été placées dans un établissement qui suivait le programme du IB  et qui suivait le système scolaire canadien. Les parents de Bambi n’avaient jamais supporté qu’on impose un cadre trop strict à leur enfant et avaient toujours cru en l’épanouissement qui naissait des libertés individuelles et surtout de lieux d’études plus libéraux et les parents de la seconde avaient suivis le mouvement pour faire taire les caprices de leur enfant qui n’avait eu de cesse de demander à être elle aussi transférée.

Les deux jeunes filles n’avaient donc jamais été séparées. Jamais trop longtemps.  C’était sans doute pour ça que la situation était aussi dramatique.  Sans aucun doute. Bambi Kwon ne comprenait pas ce qu’elle avait pu faire de si mal pour que le ciel donne des ailes à ses parents. Tout ce qu’elle avait construit était ici. Elle y avait sa famille, elle y avait ses amis, elle connaissait les rues de Chinatown et de la marina comme sa poche, personne ne connaissait River valley comme elle. Personne n’aimait comme elle les odeurs d’épices de Little india ou encore le bruit incessant de la mégalopole.

Elle avait vécu dans ces lieux une enfance heureuse et libre. Parce que Singapour était un endroit sécurisé, c’était sûr.

C’était chez elle.
Il y avait les orchidées , les grands parcs nationaux ou elle avait l’habitude de randonner avec ses parents , avec ses amis et même avec son école pour les cours de science alors qu’ils partaient observer les plantes indigènes de leur région. Il y avait ses professeurs de musique traditionnelle , il y avait son club d’arts martiaux , il y avait les grandes tours de verre.

Il y avait la mixité sociale, la mixité ethnique et culturelle incroyable de la ville. Elle avait grandi dans cette bulle et force était de constater qu’elle était terrifiée à l'idée de la quitter. Pourquoi est-ce qu’elle aurait voulu le faire ? Tout ce dont elle avait besoin pour vivre, se trouvait là.

« Prend ton temps mon faon…tu sais , ta maman et moi on comprend que ce soit difficile …
— alors pourquoi est-ce qu’elle a accepté ce travail ?
— ma chérie , c’était une opportunité en or et je suis certain que tu vas beaucoup aimer hong-kong …
—Je ne veux pas y aller ! Je peux aller vivre chez papi et mamie ! Ou chez Ruonan! Je pourrais même aller à l’internat… »

Ils étaient tous les deux assis sur le lit de l’adolescente , la chambre était entièrement mise en carton. Il restait peu de jours avant le départ, puisqu’elle était supposée intégrer sa nouvelle école à la fin des vacances de printemps. La jeune fille , pourtant , semblait au bord des larmes. Son père avait gardé le silence pendant un instant avant de la prendre dans ses bras. Elle s’y était blottie. Comme si elle avait cherché à disparaître dans cette étreinte.  Il lui frotta le dos énergiquement , cherchant visiblement ses mots.

« Faisons cela. Passe une année scolaire complète, deux semestres entiers avec nous à Hong-kong. Si passé ce temps tu veux toujours rentrer, alors j’appellerai papi et mami moi même pour qu’ils préparent ta chambre.
— tu promets ?
— absolument.
—et maman ?
— je m’en occuperai en temps voulu. »

Elle avait reniflé et frotté énergiquement ses yeux avec la manche de son gilet de coton.  Il semblait qu’elle prenait un temps de réflexion au sujet du deal qu’elle venait de passer avec son père. Elle était tranquille. Elle ne pourrait jamais aimer un autre endroit comme elle aimait Singapour. Alors assurément elle serait de retour en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire.

« je dois aller à ma leçon de malais …c’est ok si je vais manger chez Amrit et Deepala ?
— leurs parents sont au courant que tu t’invites ? »

Elle n’avait pas répondu.
Son père avait posé un baiser sur son front et avait quitté la chambre de l’adolescente sans rien ajouter de plus.  Dehors, la lune semblait rose au milieu des nuages de pollution de Singapour.

Ç’aurait dû être un triste constat ;
Mais c’était ce soir-là , la plus belle de toutes les visions.

•III•
UC